La collaboration de Canopée asbl. et du Lycée professionnel Maryse Bastié de Hayange en Lorraine continue le 6 mars 2017 avec une mise en place du texte « Inconnu à cette adresse » de l’auteure Kathrine Kressmann Taylor.
Avec l’aimable autorisation de JMD Productions.
Résumé
Max et Martin sont deux amis qui ont monté un commerce d’art à San Francisco. Alors qu’en Allemagne la situation économique subit encore les effets de la crise financière de 1929, Martin, d’origine allemande, décide de rentrer avec sa famille en Allemagne pour aider au redressement du pays. Max qui est, lui, d’origine juive, s’inquiète de la montée du Nazisme.
Kressmann Taylor nous invite à suivre l’évolution de la relation entre les deux associés et amis de novembre 1932 à mars 1934 au travers de 19 lettres écrites de part et d’autre.
Sur une proposition d'Olivier Baume Mise en place : François Baldassare Max : Olivier Baume Martin : François Baldassare
Note d’intention (Olivier Baume)
Avec « Inconnu à cette adresse », Kathrine Kresssmann Taylor nous livre un texte fulgurant, faisant terriblement écho au monde contemporain, où les faits historiques bouleversent l’intime. La relation fraternelle des deux protagonistes est mise à mal par une idéologie clivante et barbare.
Tout l’enjeu du texte réside dans le questionnement sur le rapport individuel à l’idéologie. „En existe-t-il une de valable? Comment en épouse-t-on une qui vous pousse à haïr votre propre frère?“ sont des questions d’une grande actualité qui doivent intéresser toutes les générations.
Une mise en lecture est parfaitement adaptée au texte des 19 lettres d’« Inconnu à cette adresse », parce qu’on associe généralement à une lecture une mise en scène et une scénographie des plus épurées où le texte prime sur tout. La forme épistolaire de la nouvelle permet ici une mise en abyme de l’évolution de la relation entre les deux amis. L’intime est là par la seule force de la lecture d’une lettre, or à la fois la justesse et la sensibilité du texte de Kressmann Taylor accentue l’effet. C’est cet effet là que nous cherchons à reproduire par une lecture dans un espace unique et clos où évoluent ensemble les deux personnages.
La pièce
« Inconnu à cette adresse » est un texte d’une incroyable cruauté où l’auteure montre l’horreur du nazisme. Martin, l’associé allemand, s’installe à coté de Munich où il va savoir prendre place dans la bonne société et adhérer peu à peu à l’idéologie nazie voyant en Hitler l’homme providentiel pour redresser une Allemagne non seulement humiliée par le traité de Versailles mais encore subissant une situation économique déplorable. Outre une place respectable dans l’administration, Martin fait évoluer toute sa famille dans la bourgeoisie nationale-socialiste notamment grâce aux traites de la galerie d’art de San Francisco. S’il émet des réserves sur le nouveau pouvoir en place dans sa première lettre à Max, son associé juif, il devient de plus en plus vindicatif et enthousiaste.
Max, quant à lui, s’étonne de la position que prend son ami, particulièrement lors des premiers pogroms qui ont lieu en Allemagne en 1933. Comment son ami peut-il adhérer? Pense-t-il vraiment ce qu’il écrit ou bien est-ce un traitement de façade pour berner la censure?
Mais l’inquiétude de Max est d’autant plus forte que sa sœur Grisèle qui commence une carrière de comédienne, jouant à Vienne son premier grand rôle, décide de suivre la voie du succès à Berlin. Il va même en perdre la trace par un retour de courrier « Inconnu à cette adresse ». Il se confit par une lettre à Martin. Puis par une autre encore plus pressante, l’auteure soulignant ainsi une situation des plus alarmantes.
Finalement Martin lui répond pour lui raconter comment Grisèle a fini aux portes de chez lui sous les feux des SA de manière « stupide », selon lui. Cette avant dernière lettre de Martin est un coup de massue terrible pour Max. Elle semble sceller la relation entre les deux amis. Max néanmoins connaît l’effet de ses lettres adressées à Martin face à la censure.
L’auteure
Kathrine Kressmann Taylor est née en 1903 à Portland dans une famille américaine d’origine allemande. Elle fait des études de lettres et de journalisme à l’université de l’Oregon, dont elle sort diplômée en 1924. Elle sera plus tard la première femme professeur titulaire de l’Université de Pennsylvanie où elle enseignera le journalisme et la littérature anglaise.
Loin de l’imagerie bien pensante qui la présenta à l’époque comme une épouse modèle, femme au foyer, mère de quatre enfants venue à l’écriture presque par hasard, Kathrine Kressmann Taylor conçut toujours l’art comme moyen de lutte, comme en témoignent « Inconnu à cette adresse » (Address Unknown) publié en 1938 et « Jour sans retour » en 1942. Dans les années trente, alors que les Américains se désintéressent de ce qui se passe outre-Rhin, elle reçoit des lettres inquiétantes en provenance d’Allemagne : récit d’événements dramatiques, attitude antisémite d’anciens amis allemands. Par ailleurs, elle est troublée par un fait divers : des étudiants américains ayant mis en danger leurs correspondants allemands en critiquant Hitler. Ces éléments conjugués lui inspireront la trame de « Inconnu à cette adresse » et détermineront le choix de la forme épistolaire.
Lorsqu’elle remet le manuscrit à son mari et à son éditeur, tous deux jugent qu’un texte aussi incisif rencontrera un plus large écho si le public ignore que l’auteur est une femme… Ils décident alors, d’un commun accord, que le prénom de Katherine sera remplacé par Kressmann, son nom de jeune fille, qui peut passer pour masculin.
En 1938 « Inconnu à cette adresse » est publié dans Story Magazine et devient très rapidement un best-seller. Le Reader’s Digest accueille à son tour la nouvelle dans ses pages, puis Simon & Schuster le publie sous forme de livre en 1939 : 50 000 exemplaires sont vendus. Les éditions étrangères suivent rapidement, incluant une traduction hollandaise plus tard confisquée par les Nazis, et une version allemande sortie à Moscou. Le livre est interdit dans l’Allemagne nazie.
Plus tard, un jeune allemand fuyant la domination nazie se réfugie aux États-Unis. Interrogé par les services de renseignement, il fait part de son vœu de raconter son histoire et la réalité du régime d’Hitler. Le FBI arrange une rencontre avec Kressmann Taylor, auteur déjà célèbre pour sa dénonciation du nazisme. Cet homme devient le héros de « Jour sans retour », publié en 1942. « Inconnu à cette adresse » fait l’objet d’une adaptation cinématographique produite en 1944 par Columbia Pictures (réalisateur : M.C.Menzies), et Paul Lukas tient le rôle de Martin.
En 1995, alors que l’auteur a 92 ans, Story Press réédite « Inconnu à cette adresse » pour fêter le 50e anniversaire de la libération des camps de concentration. La nouvelle est traduite en 20 langues. Le livre sort en France en 1999 et se vend à 600 000 exemplaires. C’est un immense succès. La nouvelle est finalement publiée en Allemagne en 2001, et rééditée en Grande-Bretagne en 2002. En Israël, la traduction en hébreu est un best-seller et est adaptée pour le théâtre.
Kathrine Kressmann Taylor est morte en 1996, au moment où l’on redécouvrait son œuvre.
(auteur textes: Olivier Baume)